S'adapter aux vautrés sans se vautrer

Actualités - 15 juin 2018

S’adapter aux vautrés sans se vautrer

Ainsi peut-on résumer les injonctions données il y a 10 ans aux concepteurs de sièges et literies par certains observateurs des attitudes de la nouvelle génération. Solution préconisée : s’inspirer de la Nasa et d’Air France, voire de Dany Boyle. Avec quels effets ?

 

Avant tout, pour ceux que ce titre pourra étonnera ou dont ils estimeront le sens abscons, précisons que le verbe pronominal « se vautrer » a selon le Larousse la double signification de « s’étendre quelque part avec un abandon, un laisser-aller total », et, de manière littéraire, « se laisser aller à ses mauvais penchants, à ses vices, etc. » Ajoutons celle populaire, d’« échouer, se tromper » née du phénomène, classique en usage des langues, d’extension-déformation du sens originel.

 

Le titre ci-dessus pourrait ainsi se traduire par « Répondre aux besoins de ceux qui s’affalent dans les canapés et autres sièges sans se tromper dans les solutions apportées ». Avouez toutefois que la reformulation pêche par sa longueur et sa tournure d’étude universitaire destinée à quelques obsédés de la question.

 

Venons-en à la question, justement. Dans la deuxième moitié des années 2000, certains observateurs interpellaient les concepteurs de mobilier et d’aménagement de la maison sur l’évolution des attitudes de la nouvelle génération. Ainsi Gérard Laizé, alors directeur général du VIA, association pour la valorisation de l’innovation dans l’ameublement (cf. notre interview de Jean-Paul Bath, son successeur, le 25 mai) et François Bellanger, directeur de Transit Consulting, dressaient le portrait-robot de la « génération vautrée » et invitaient les industriels de l’ameublement à réviser leurs standards de production pour satisfaire cette jeune population née autour des années 1980.

 

Sous la plume de notre consœur Caroline de Bodinat (source : ici) étaient précisées les causes et effets de cette affalement domestique de la jeunesse d’alors : « conséquences naturelles de l’évolution morphologique d’une génération qui a bénéficié d’une éducation plus permissive que ses aînés, les attentes des vautrés sont guidées par un souci exacerbé du confort. Leurs besoins se fondent sur des logiques comportementales clairement identifiables à leur façon d’appréhender une chaise, un canapé ou un lit. Objets sur lesquels ces grands invertébrés adorent s’affaler. » (…) Contrairement à ses parents, le jeune ne prend pas place sur un sofa. Il s’affale. Pile au milieu. Puis, avec ses jambes de faucheux, dessine une sorte d’accent circonflexe, les semelles de ses baskets en appui sur le rebord de la table basse. »

 

Ainsi positionné, le corps dessine « un angle d’assise de 127 degrés, que les scientifiques de la Nasa ont qualifié de "zéro gravité" alors qu’ils travaillaient sur les postures naturelles des astronautes en situation d’apesanteur » validait Julien Barthelat, ingénieur ergonome au Centre technique du bois et de l’ameublement (CTBA, devenu depuis FCBA).

 

Permettant de supprimer les tensions de la colonne vertébrale, tant au niveau des cervicales que des lombaires, cette position a aussi été appliquée par Air France pour les sièges de la classe affaires de ses avions. Certains naïfs en mal de jeunisme (ou voulant paraître encore jeunes), y verront le bien-fondé de cet abandon du corps par nos têtes blondes ou peroxydés parce qu’il traduit leur volonté d’avoir la tête dans les étoiles, tout en préfigurant leur futur statut de businessmen. C’est bien connu, à une certaine altitude, le manque d’oxygène altère le jugement.

 

D’autres verront un signe presque kabbalistique dans le nombre de 127, nombre d’heures du titre du film de l’excellent Danny Boyle, retraçant l’histoire vraie d’un jeune homme bloqué au fond d’un canyon de l’Utah dans une position pour le moins inconfortable (sans secours possible à cause de sa négligence) et - attention spoil comme disent les… jeunes - devant finalement s’amputer le bras (geste symbolique du sacrificiel passage de l’adolescence à l’âge adulte ?) pour retrouver sa liberté.       

 

Une décennie s’est écoulée depuis les injonctions des observateurs et nos jeunes affalés ont dû, comme leurs aînés, se redresser et quitter le (trop) confortable canapé pour se confronter à de plus rigoureuses situations, assises ou non. De fait, devenus trentenaires, on ne les voit plus se vautrer dans les sofas. Reste à voir si leur successeurs, dits de la génération Y, plus mobiles, voire globe-trotters sans se presser de fonder foyer, ont repris les mêmes postures, alors que les canapés, tels qu’ils sont proposés dans le mass market, n’ont pas vraiment changé de formes ni de proportions. Si aucun à notre connaissance n’adopte le fameux angle de 127 degrés, certains éditeurs de sièges à la clientèle plus circonscrite ont toutefois intégré à leurs collections des modèles permettant de s’y étaler en long, large et travers. C’est le cas du Giant Birdnest présenté en haut de cet article ou, ci-dessous, du modèle Nuvole de l’italien Giovannetti Design, servant pour la 4ème saison de l’émission de télé-réalité Secret Story avec et pour vieux ados diffusée en 2010, année de sortie en salle du film de Dany Boyle évoqué plus haut. Signe des temps…    

 

Jérôme Alberola 

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